La com’ de crise est-elle l’avenir de la communication ?
Le 4 décembre, nous recevions Frédéric Fougerat, Directeur de la communication et du marketing du Groupe Foncia, mais aussi un des DirCom les plus influents de la twittosphère avec près de 20 000 abonnés, et auteur. Son prochain livre, à paraître en février 2020, est consacré à la communication de crise. En tant qu’expert du sujet, il a partagé avec nous, lors de cette matinée, des stratégies de gestion de crise et bonnes pratiques, éclairées par ses expériences passées et présentes chez Altran, Elior et Foncia.
Le travail en mode crise est induit aujourd’hui par l’environnement technologique et social. Les journaux d’information en continu et les réseaux sociaux ont amené ce besoin, cette exigence d’instantanéité. Et nous sommes tous les complices de cette instantanéité.
Quand il s’agit de communication, tout le monde donne son avis; sur la couleur du logo, une tonalité de phrase, le visuel de la dernière création… tout le monde se pense DirCom à son échelle. Mais dès qu’il s’agit de crise, plus personne ne se montre et c’est au DirCom qu’on renvoie la balle.
“Quand le DirCom est reconnu comme un des stratèges de la gestion de crise, c’est bien la com’ de crise qui installe la communication au niveau de l’expertise recherchée.”
Si le travail “en mode crise” régit aujourd’hui le quotidien des directeurs de la communication, la com’ de crise ne s’improvise pas.
Les étapes clés d’une bonne gestion de crise
1 – La préparation
En pleine crise, vous ne pouvez vous permettre de perdre du temps avec des questions pratiques. En amont, voici les indispensables pour vous libérer de la logistique le jour venu et pouvoir vous consacrer entièrement à la réflexion :
- Avoir un fichier à jour avec les numéros de portable des personnes clés de l’entreprise qui seront impliquées dans la gestion de crise
- Idem pour les journalistes référents sur votre secteur d’activité
- Prévoir une « cellule de crise« , c’est à dire un lieu pensé pour recevoir les personnes concernées et impliquées pour gérer la crise.
- Un book où les actions à mener sont indiquées clairement. Ce document peut prendre différentes formes selon la cible à qui il s’adresse. Par exemple, un livret imprimé pour les personnels d’accueil qui peuvent être amenés à être en première ligne face à des journalistes, cela sans être au courant des tenants et aboutissants. Au contraire, un document électronique pour les cadres de l’entreprise, mis à jour régulièrement et hébergé sur un serveur sécurisé. Dans tous les cas, ce document doit être assez simple pour permettre de s’y retrouver facilement quand la crise est là.
2 – La réactivité et l’empathie
Même si l’on a rien à dire, il faut le dire. Dans tous les cas, l’important est d’affirmer son autorité. Il s’agit de montrer qu’il y a un référent identifié, quelqu’un qui se consacre à la gestion de cette crise.
“Nommer la crise et ne pas laisser les autres le faire pour vous est une des missions liée à la com’ de crise”
Faire preuve de transparence et dire tout ce qui est utile et possible à communiquer. On n’est pas obligé de tout dire mais il ne faut jamais mentir.
Faire preuve d’empathie et l’exprimer. Ne pas oublier qu’il y a des personnes impliquées personnellement, émotionnellement. Il faut pouvoir le reconnaître lors de vos prises de parole. Chacun aura un rapport émotionnel et personnel différent à la crise en fonction de son vécu, de sa culture et de son affinité vis à vis des produits et/ou services de l’entreprise impliquée. Ne jamais perdre de vue qu’il vous faut agir avec sang froid et pragmatisme, sans porter de jugement sur l’ampleur de la crise.
“Par défaut, l’entreprise est toujours la méchante, vouloir éteindre la crise dès la 1ère prise de parole est une utopie. Il faut d’abord être dans l’empathie et traduire la prise de conscience de la situation”
3 – Déplacer le débat vers le positif
Expliquer versus se justifier. Il ne faut pas confondre explication et justification.
“Se justifier c’est adopter la posture du coupable”.
Montrer que l’on a pris les mesures qui s’imposent, en conséquence et qui permettent d’éviter une reproduction de la crise. Changer l’angle et le point de vue permet de tourner le regard vers une sortie de crise et envisager la suite.
4 – L’exigence de professionnalisme
Evidemment, cette exigence est valable à chaque étape. On ne s’improvise pas gestionnaire de crise quand la crise arrive. Cela demande de la préparation, des mises en situation préalables, des exercices avec des “faux cas”. S’assurer que tout le monde est prêt en amont avec des répétitions (à la manière d’un exercice incendie), permet de roder les process pour le jour où la crise touchera votre entreprise.
Savoir gérer une crise, c’est un véritable métier, celui du communicant, incarné par le Directeur de la Communication.
“Gérer une communication de crise, c’est exercer en instantané, toute l’intelligence et la vision du métier de communicant, au service d’enjeux dont la sensibilité est décuplée”.
5 – S’appuyer sur ses alliés
Même si l’on croit avoir éteint le feu, il peut toujours ressurgir. Dans les cas de crise les plus virales, notamment celles qui partent des réseaux sociaux, vidéos à l’appui et relayées par des “influenceurs bienveillants”, le rôle des alliés est majeurs. Ce sont eux qui vont permettre d’apaiser et faire retomber l’émotion.
Parmi vos alliés, vous pouvez compter sur :
- l’interne, à condition de les avoir mis au courant en amont
- les fans et ambassadeurs de la marque / de l’entreprise, sur les réseaux sociaux
- les journalistes avec lesquels une relation de confiance a déjà été créée par le passé
Les difficultés évoquées de la gestion de crise
Quand prendre la parole et quand arrêter ? Combien de médias adresser ? Faut-il se limiter à une poignée qui fera le relai de l’information ou bien être présent sur tous les plateaux ? Comment repérer les signaux qui laissent présager qu’une crise va éclater ?
Il est bien difficile de répondre à ces questions car il y a autant de réponses que de crises et d’entreprise concernées. Notre invité du jour recommande d’effectuer une veille personnelle sur les réseaux sociaux et alerte sur le point de la temporalité et du contexte. En fonction de l’actualité, de l’angle de traitement, un même sujet peut devenir une crise ou ne jamais en faire l’objet.
« Avec les réseaux sociaux nos vies sont rythmées par les notifications des smartphones, la crise est permanente. On ne peut pas se permettre de les couper, sous peine de rater un événement majeur et de se le voir reproché »
A cet effet, Frédéric partageait avec les participants, un exemple tout à fait personnel de crise dont il a été à l’initiative. Il a alerté 3 ans de suite les médias sur une pratique qui avait lieu dans sa ville. Les enfants étaient envoyés en colonie de vacances dans une ville jumelée, à quelques kilomètres de Tchernobyl, cela seulement quelques années après le drame. Les 2 premières années, il n’y a eu qu’un seul article paru dans Le Parisien, passés inaperçus. Mais la 3ème année, avec la même alerte, il a fait tous les journaux de 20h…
Pas de recette miracle pour la com’ de crise
Pour répondre à la question du jour, OUI la crise est l’avenir de la communication. Non pas comme opportunité, mais par la force des choses, du fait des exigences qui sont celles d’un monde ultra connecté, avec un accès démocratisé, facile et rapide à l’information.
Tous les invités présents ce matin du 4 décembre partagent le même constat. S’il n’y a pas de recette magique pour répondre à la crise, les problématiques qui y sont liées et les enjeux se recoupent. Un travail en amont est donc non seulement possible mais surtout nécessaire et essentiel.
“Pour une crise qui éclate, ce sont 15 crises potentielles sur lesquelles les équipes ont travaillé dans l’ombre”